Note: Avant de commencer mon message de cette semaine, je dois vous avouer quelque chose. J'ai eu l'opportunité de mieux me relire pour constater la qualité parfois douteuse de mon français écrit. J'en suis le seul responsable, mais c'est inacceptable. Je vais donc, dans les prochaines semaines, corriger l'entièreté du carnet, mais aussi changer ma façon d'écrire mes carnets pour assurer qu'au moment de chaque mise à jour, toujours les mardis, un message clair, concis et avec le moins de fautes possibles vous sera envoyé. Je sais, c'est un petit mea culpa qui peut venir un peu tard. Mais on continue d'apprendre, non? Alors bonne lecture et attendez un carnet encore mieux ficelé dans les prochaines semaines.
Nous avons vu passer, hier, un bref article sur le site Internet du journal Le Soleil intitulé « Modeste commémoration de l'émeute sanglante de 1918 ». La commémoration est utile pour se rappeler notre passé, encore faut-il que les gens soient au courant de quoi parle-t-on exactement. Nous croyons qu'une brève (en fait c'est un de nos plus long articles, courage!) mise en contexte historique est de mise pour permettre aux citoyens actuels de la ville de bien comprendre cet événement particulier qui se déroulait il y a 92 ans.
Source: Le Premier ministre canadien Robert Borden (1854-1937) et Winston Churchill en 1912, Bibliothèque nationale de France, consultation en ligne, 30 mars 2010.
En 1918, la Canada au complet vit au rythme de la Première Guerre mondiale. Depuis 1914, mais surtout 1915, le gouvernement canadien veut montrer son support indéfectible à son « allié impérial » qu'est la Grande-Bretagne. Le Premier ministre Robert Laird Borden (ci-haut, à gauche), désireux de matérialiser cet appui, essayera de manoeuvrer tout au long de la guerre pour stimuler l'effort de guerre. En effet, bien que l'armée puisse compter sur un corps de 30 000 volontaires supplémentaires en 1914, les chiffres ne seront pas soutenus pour les années suivantes.
Source: Col. Samuel Hughes, M.P. (Victoria-Haliburton, On.), 1905, photographe William James Topley, consultation en ligne, 30 mars 2010.
Pendant ce temps, on cherche à rendre l'armée canadienne plus organisée et efficace. Le ministre de la Milice et de la Défense, Sam Hughes, et les responsables de l'état-major, décident d'agir. D'un côté, on organise un camp près de Valcartier, dans la banlieue éloignée de Québec, mais de l'autre on force les recrues à évoluer dans un milieu entièrement anglophone, ne prenant pas nécessairement compte des différences régionales et linguistiques chez celles-ci. Hughes, un Orangiste (donc anti-catholique et ce sentiment au Canada s'est souvent accompagné, historiquement, d'une opposition à la langue française), a certainement eu un rôle de premier plan à jouer dans tout cela.
Source: Square Victoria, 24 mai 1917, Bibliothèque et Archives Canada, consultation en ligne, 30 mars 2010.
Ainsi, les chiffres de recrutement au Québec n'ont jamais été à la hauteur des espérances des politiciens d'Ottawa. Avec une guerre qui s'étire, les besoins en hommes augmentent et Borden décide d'aller de l'avant avec un plan pour aller chercher des combattants dans la population à travers la conscription. Déposé en mai 1917, puis adoptée après un vote le 24 juillet de la même année, la conscription est une mesure qui reste largement impopulaire au Québec. Des manifestations éclateront dans les grandes villes du Québec (Montréal, ci-haut, et Québec, mais aussi Sherbrooke). Vu son impopularité apparente au Québec et pour se donner la justification politique nécessaire, Borden décide d'aller en élections en décembre 1917 pour consolider sa vision. Borden remporte l'élection (à laquelle participait les soldats sur le front et les femmes, incluant donc les infirmières de campagne), en ne remportant toutefois que trois sièges au Québec.
Source: Soldat canadien à Londres qui vote aux élections de décembre 1917, Musée canadien de la guerre, consultation en ligne, 30 mars 2010.
Le 1er janvier 1918, l'appel à environ 400 000 hommes est lancé. Plusieurs éviteront la conscription à cause de nombreuses exemptions, mais Ottawa pousse quand même le recrutement, surtout au Québec qui avait largement voté contre le gouvernement de Borden. Une des façons utilisées pour repérer ceux qui désiraient éviter le service était de se fier au travail de spotters, des policiers du gouvernement fédéral, qui avaient pour tâche de chercher les hommes qui se cachaient pour éviter le service et de les forcer à se rendre aux bureaux de recrutement.
Source: Henri-Edgard Lavigueur, vers 1910, consultation en ligne, 30 mars 2010.
À Québec, une ville d'embarquement, on perd le contrôle à la fin du mois de mars. Le jeune Joseph Mercier, 23 ans, est arrêté le 28 mars. Bien qu'ayant des papiers d'exemption (il ne les a pas sur lui), il est arrêté et est emmené au poste de police de la rue Saint-François (dans Saint-Roch). Finalement libéré grâce à son père qui vient porter les papiers, son histoire ameute rapidement une foule de quelques milliers de personnes qui veulent prendre les spotters à partie. Les deux hommes se sauvent, mais la police ne contient pas la foule. Le 29 mars, c'est probablement la manifestation la plus importante: plus de 15 000 personnes se réunissent à la Place d'Youville et sur la rue Saint-Jean, près de l'Auditorium, l'endroit où sont les dossiers de conscrits (cliquez ici pour une image de l'Auditorium, sur le site des Archives nationales du Québec). On met le feu au bâtiment et on empêche les pompiers de faire leur travail. Pendant ce temps et pratiquement à toutes les manifestations, le maire Henri-Edgar Lavigueur (ci-haut) tente de calmer les foules.
Le 30 mars 1918, on manifeste encore. Borden avait demandé à l'armée d'intervenir de façon plus musclée à ce moment. La manifestation s'installe surtout devant le Manège militaire, sur Grande-Allée. Mais c'est la cavalerie militaire qui charge les manifestants et les forcent à se replier, sans empêcher les manifestants de répliquer à coups de morceaux de glace et de pierres. Le 31 mars, à Pâques, on compte bien un rassemblement Place Jacques-Cartier, mais les choses se déroulent plus calmement. Le 1er avril 1918, l'armée patrouille les rues de la ville. Pourtant assurés du contraire la veille, les opposants à la conscription fulminent. En début de soirée, l'armée, essentiellement des soldats provenant de l'Ontario et de la Nouvelle-Écosse, confronte une foule de manifestants dans le quartier St-Roch. Premiers affrontements. L'armée disperse une partie des manifestants et repousse un autre groupe vers le quartier St-Sauveur. Ils y installent une mitrailleuse et demandent à la foule de se disperser. La foule n'obéit pas et l'armée ouvre le feu. Bilan: quatre morts (Honoré Bergeron (49 ans), Alexandre Bussières (25 ans), Édouard Tremblay (23 ans) et Georges Demeule (15 ans)) et plusieurs dizaines de blessés chez les civils, quelques blessés chez les militaires. On parle de cinq morts au total dans un article publié par La Presse (ci-bas).
Source: consultation en ligne, 30 mars 2010.
La ville demande une enquête du coroner le 3 avril. Le 13 avril 1918, Georges-William Jolicoeur, responsable de l'enquête, rend les résultats publics. Les troubles sont dus aux spotters fédéraux qui ont agi sans jugement et ont provoqué la foule. Les quatre morts n'étaient pas des manifestants et ont donc été mêlés à une situation dans laquelle ils n'avaient pas partie prenante. Les soldats qui ont tiré n'auraient que suivi les ordres et sont donc exonérés. Les familles immédiates des victimes demanderont bien une réparation et une indemnisation, mais celle-ci ne viendra jamais... Aujourd'hui, il existe bien un monument dans la ville de Québec, dans le quartier Saint-Sauveur, aux angles des rues St-Joseph, St-Vallier et Bagot, un des endroits où la confrontation directe a été la plus violente (1er avril 1918). C'est un monument encore assez méconnu de la population du quartier et de la ville, symbole de ces tristes événements.
Source: Monument Québec, printemps 1918, consultation en ligne, 30 mars 2010.
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