L'année 2010 marque le 250e anniversaire de la bataille de Sainte-Foy. Cette bataille est la troisième qui se déroule près de Québec, la deuxième sur les Plaines d'Abraham, à l'extérieur des murs de la Vieille capitale. C'est, en quelque sorte, la revanche de l'armée française, des miliciens et de leurs alliés par rapport à la défait du 13 septembre 1759. Comme ces événements sont encore profondément marquants pour les habitants de la région, du Québec, mais aussi d'une grande partie de l'Amérique du Nord et du reste du monde, nous avons choisi de consacrer une série d'articles sur les mois de la fin de l'année 1759 et du début de l'année 1760 qui ont mené à la bataille. Ces courts articles seront publiés d'ici le mardi 27 avril 2010, date à laquelle nous allons publier un article sur la bataille de Sainte-Foy.
Pour ce premier article, nous avons choisi de présenter les préparatifs chez les Britanniques. Pour ce faire, nous avons consulter principalement les récits du siège du capitaine John Knox (image ci-haut) qui faisait partie de l'expédition britannique et qui est demeuré à Québec pendant l'hiver 1759-1760. Dans les prochaines semaines, nous poursuivrons avec des articles sur l'hiver des Français, des Canadiens et des Amérindiens. Il faut donc comprendre que cet article est centré autour des Britanniques, de leurs problèmes et de leurs avantages (N'ayez crainte, les autres auront aussi leur tour!). Compte tenu des circonstances tragiques de l'été 1759 et de la capitulation de Montréal, le 8 septembre 1760, l'hiver est une période relativement méconnue. Comme je rapporte les propos essentiellement d'une seule source (la référence complète sera en fin d'article), je vais parfois ajouter les numéros de page.
Source: The Hon. Robert Monckton, Major-General, dans Gilbert Parker, Old Quebec, New York, MacMillan, 1903, consulté en ligne, 23 février 2010.
Le 18 septembre 1759 marque l'arrivée à Québec de l'armée britannique. Alors sous le commandement du brigadier Robert Monckton (ci-haut), blessé pendant la bataille du 13, l'armée doit faire vite puisque l'hiver arrive et il sera, comme tous les hivers du Canada, rude. Les bateaux britanniques quittent Québec au plus tard le 26 octobre et Monckton laisse le rôle de gouverneur militaire à James Murray, un autre des brigadiers de Wolfe. Murray (ci-bas) se rend aussi rapidement à l'évidence, l'hiver sera difficile. La première chose à organiser, le transport du bois. C'est pourquoi les églises de Lorette et de Sainte-Foy seront rapidement utilisées comme avant-poste et tous les régiments britanniques auront à utiliser des traînes pour ramener du bois à Québec et ce, pour tout l'hiver. Compte tenu que Murray interdit d'abord de prendre le bois des clôtures et maisons détruites, ces convois de bois qui continueront tout l'hiver sont d'une importance capitale!
Source: James Murray, auteur inconnu, Archives Nationales du Canada, consulté en ligne, le 23 février 2010.
Dès le début novembre, plusieurs tuiles s'abattent sur la tête des Britanniques. Les bateaux avec la paye des soldats ne parviendront pas à Québec avant l'hiver (pp.186-187), des rumeurs circulent comme quoi les Français, en quittant la ville, auraient jeté dans les puits des chats et des chiens morts pour rendre l'eau impropre à la consommation (p.190), on demande de prendre tous les poêles abandonnés pour chauffer les soldats (p. 190) et on instaure un couvre-feu strict aux Français (lire aux Canadiens) pour 10 heures le soir (p. 191). Pour parler des conditions à l'approche de l'hiver des soldats britanniques, Knox utilise ces mots:
"By this state of our duty, the reader may form some idea of the manner in which we earn our daily bread in this inhospitable winter climate, where we have indifferent quarters, and vile bedding for our poor soldiers, who are ill cloathed, without regular pay, or any kind of fresh provisions; in all those difficulties, the Officers bear a proportionable share; — but such hardships cannot, with justice, be imputed to any other cause, than our critical situation in the heart of an enemy's country, remote and excluded from the sea, and consequently from every kind of commerce with the rest of the world, at this severe season of the year."(p.201)
Les hautes autorités militaires s'efforcent donc de limiter les abus de ses propres soldats (alcoolisme, vols, vandalismes) autant qu'elle le peut, mais les châtiments qui peuvent avoir l'air exemplaire sont parfois diminués. Par exemple, la court martiale du 18 novembre condamne 4 soldats: le 1er à 1000 coups de fouet pour s’être absenté de son poste et avoir utilisé des expressions qui stimulerait la mutinerie; le 2e à 300 coups pour avoir été déguisé, hors de son poste la nuit avec intention de déserter; le 3e à 1000 coups pour tentative de désertion; le 4e, pour désertion, devra faire face à la peine de mort par peloton de tir. Le 4e soldat sera finalement grâcié pour avoir révéler le nom d'un prêtre canadien-français qui incitait les Britanniques à la désertion et le 3e, un invalide suite à une blessure, sera gracié puisqu’il a avoué son crime. (p.208-209). Les Britaniques seront aussi intraitables face aux Français qui incite à la désertion. Le 17 novembre, un habitant de la ville sera pendu à cet effet. Compte tenu qu'on soupçonne alors une attaque par Lévis avant Noël (qui ne viendra finalement pas), les choses ne sont pas drôles.
Pour l'alcool, on suspend aussi rapidement les permis de vente d'alcool en ville, dès le 14 novembre et les coupables seront à l'avenir fouettés publiquement (ce qui arrivera à quelques reprises au cours de l'hiver). Les déserteurs seront normalement exécutés en faisant face au peloton de tir, les voleurs seront châtiés au cas par cas (le 16 novembre, un soldat est pendu pour avoir volé un habitant). Mais les soldats graciés sont nombreux comme le moral des troupes est déjà très bas. On veut que les opérations les plus importantes de l'hiver, soit la récupération de bois de chauffage près de Sainte-Foy et les escarmouches contre les Français soient les plus efficaces.
Source: The hanging of a British officer, Major Andre, for negotiating the treachery of Benedict Arnold, auteur inconnu, consulté en ligne, 23 février 2010. ATTENTION, cette image représente une pendaison d'officier britannique pendant la guerre d'Indépendance des États-Unis et non une pendaison à Québec en 1760. La période se ressemble et cette image peut représenter une pendaison comme on aurait pu en voir à Québec.
Mais plus encore que les Français, les maladies sont les principaux ennemis de l'armée britannique. Scorbut, dysenterie et différentes fièvres vont provoquer, avec le froid, un nombre élevé de décès pendant tout l'hiver et vont faire fondre pratiquement de moitié les effectifs britanniques qui sont de 7313 hommes valides au 29 octobre contre 3000 hommes et 1900 convalescents le 24 mars 1760. Cela n'empêche pas l'armée britannique de lancer des opérations de harcèlement qui se soldent souvent par des résultats avantageux pour eux et au détriment des Français ou des Canadiens: reprise de l'église de la Pointe-Lévy (13 février, après la prise du pont de glace), destruction de toutes les résidences entre les rivières Chaudière et Etchemin (26 février), destruction du camp avancé du Lac Calvaire (le Lac St-Augustin, le 18 et 19 mars). Cette dernière action ne se fait pas sans heurts parce qu'une centaine de soldats britanniques doivent être ramenés à Québec sur des traînes, souffrant d'engelures trop graves! Avec les jours qui passent, on sait que Lévis, désormais à la tête de l'armée, tentera certainement quelque chose avec toute l'armée du Canada pour reprendre Québec. Le mois de mars et le début d'avril montrent clairement aux Britanniques que les Français approchent (mouvements de troupes et rumeurs sont de plus en plus nombreux...). La bataille est inévitable.
Source: John H. MacNaughton, The 78th Fraser Highlanders (vers 1880), Musée national des Beaux-Arts du Québec, consulté en ligne, 23 février 2010. Cette image représente un Highlander probablement à l'hiver 1775.
Que faut-il donc retenir de l'hiver britannique à Québec? Les maladies et la difficulté à trouver du bois et des ressources de toute sorte ont été responsables de la plus grande partie des actions des soldats et de l'état-major. Ces grandes difficultés n'ont pourtant pas empêché les soldats de mener à terme quelques expéditions en périphérie de Québec et d'y asseoir leur pouvoir en vu de la prochaine campagne. Certes, on doit négocier avec certains problèmes locaux, (incitation à la désertion chez les habitants d'un côté, mais aussi vol, désertion et grabuge chez les soldats de l'autre) mais une population affaiblie qui ne croit plus avoir le support de l'armée française (selon les Britanniques) ne peut faire grand chose. Armée française qui, ayant quitté la région de façon précipitée, n'éveille guère la crainte de Murray qui en parle en ces mots (par rapport à la désertion de ses propres soldats):
"The desertion, which has lately happened, cannot proceed from any other cause than the fear of punishment for enormous crimes of theft and robbery, which have been amongst us of late: What else can induce men to leave a victorious army, abounding with every thing, to join that of a despicable, routed, starving enemy, who must soon abandon them to our vengeance?"(p.204-205)C'est une armée affaiblie, mais déterminée et qui possède des moyens efficaces de se battre qui sort donc de la ville de Québec, un peu après 6h le matin du 28 avril 1760, affronter les Français...
À suivre dans les prochaines semaines avec En route vers la bataille de Sainte-Foy (2) - l'hiver des Français...
Source
KNOX, cpt. John. An Historical Journal of the Campaigns in North America... . Londres, 1769, volume 2, édition en consultation en ligne, consulté en janvier et février 2010.