mardi 9 mars 2010

En route vers la bataille de Sainte-Foy (3): l'hiver des Canadiens

D'abord les Britanniques. Puis les Français. Nous en sommes maintenant à l'avant-dernier volet de nos carnets "En route vers la bataille de Sainte-Foy" avec une description de l'hiver pour les Canadiens, donc la milice et la population. Bien que les miliciens soient des habitants, nous avons choisi de séparer les deux groupes. "La milice" fait référence aux actions militaires et "La population" à ce que les habitants ont dû vivre.

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Source: Image trouvée sur le carnet Historine, sans référence, consultation en ligne, le 8 mars 2010.

La milice
Au lendemain de la bataille des Plaines d'Abraham, la milice fait face à une difficile réalité. Responsable de la retraite efficace de l'armée française sur le champs de bataille en bloquant la charge des Highlanders écossais (78th Foot) notamment, la milice doit absolument suivre la fuite de l'armée vers Jacques-Cartier (Cap-Santé). Mais une partie des miliciens vient de Québec et la bataille étant perdue, les miliciens de ce district (comme plusieurs des districts de Trois-Rivières ou Montréal) vont déserter pour retourner chez eux, aider à la fin des récoltes et à la préparation de l'hiver qui sera sans doute difficile. Sans compter ceux qui, entre le 13 et le 18 septembre (prise de Québec), refuse systématiquement de défendre la ville et d'exécuter les ordres. De la mutinerie due au départ de l'armée et donc à une situation désespérée...


Source: French 1763 musket muzzle loader, consultation en ligne, 9 mars 2010.

Jusqu'à la mi-octobre, on essaie de limiter la désertion des miliciens, ce qui s'avère une tâche difficile compte tenu que des compagnies complètes refusent parfois de prendre les armes. On réussit quand même à renvoyer près de Montréal, le 19 octobre, les milices de Montréal et Trois-Rivières parce que la menace d'une attaque britannique depuis les Grands Lacs semblent possible. Cela aide certainement la motivation des miliciens qui auraient à défendre leurs propres habitations contre l'envahisseur.

A Canadian volunteer militiaman in winter
Source: A canadian volunteer militiaman in winter, consultation en ligne, 9 mars 2010.

Autrement, l'hiver en sera un d'entraînement. Bien que des plans préliminaires soient mis en marche dès novembre pour reprendre Québec, François-Gaston de Lévis, alors major-général des troupes françaises,  se rend rapidement compte qu'une bataille ne sera possible qu'au printemps.  En 1760, la présence de la milice devra être exploitée au maximum. C'est ainsi que Lévis décide, au mois de février et mars 1760,  d'incorporer plusieurs miliciens à même les troupes professionnelle pour combler certaines absences. D'un autre côté, il n'essaie pas de mélanger les compagnies de milice et les compagnies de soldat professionnels. Il s'assure que les compagnies de milice s'organisent en trois formations, chaque formation étant sous les ordres, en quelque sorte la supervision, d'un bataillon régulier et ils se sont livrés à des exercices d'escarmouches tout l'hiver. Contrairement à leur usage un peu improvisé de 1759, le major-général de Lévis compte bien les utiliser au mieux de leurs capacités. Il faut finalement dire que Vaudreuil qui lance les appels à la mobilisation de la milice pour 1760 a l'oreille de la population qui répond. Les conditions sont idéales pour la bataille... Suffit, pour remporter une victoire décisive et reprendre Québec, que l'armée française espérée arriver en renfort fasse son apparition rapidement sur le fleuve au mois d'avril ou de mai (on sait aujourd'hui qu'elle n'est jamais arrivée...)

Scene of daily life at Fort Beauséjour, around 1753
Source: Lewis PARKER, Scene of daily life at Fort Beauséjour, around 1753, consultation en ligne, 9 mars 2010.

La population
Si la situation semble critique pour la milice, c'est encore pire pour les habitants. D'un côté, pour tous les habitants de l'extérieur de la région immédiate de la ville de Québec, la situation ressemblera aux hivers précédents... si ce n'est que plusieurs d'entre eux ont vu leurs habitations et leurs récoltes rasées par les Britanniques en 1759 (pratiquement toute la Côte-de-Beaupré et Charlevoix jusqu'à La Malbaie, presque toute la Côte-du-Sud de Kamouraska à Beaumont de même que plusieurs villages dans Lotbinière et dans Portneuf). Puis, à titre préventif, les Français vont ordonner, le 16 octobre, de brûler tout le bois de chauffage déjà coupé de sur la rive-sud autour de  la Pointe-Lévy.

Mais avant cela, il nous semble que Jérôme Foligné, second à bord du Swinton (un bâtiment français) aborde de façon fort efficace la situation de la population de la région immédiate de Québec après le siège de 1759 avec ce message daté du 21 septembre 1759 (nous avons pris la liberté de corrigé un peu le texte pour faciliter sa lisibilité, grand honte à nous):
"Les bourgeois et habitants de la dépendance de Québec de trois lieues à la ronde prêtèrent serment de fidélité, cérémonie qui dura depuis le matin jusque vers les trois heurs de l'après-midi, que le général anglais fit battre un banc, par lequel il fut permis d'aller et de venir librement pour vaquer à leurs affaires et de rentrer paisibles possesseurs de leurs biens, mais quelles biens veut-il que nos habitants aillent occuper après les ravages qu'il a fait commettre, brûler les maisons, emmener les bestiaux et piller les meubles, c'est à ce jour qu'on vit sortir du fond des bois nos pauvres femmes, trainant après elles leurs petits enfants, mangés des mouches sans hardes, criants la faim, quel coup de poignards pour les pauvres mères, qui ne savent si elles ont des maris et ou ils les prendront et quelle assistance, elle donneront à leurs pauvres enfants à l'entré d'une saison pendant laquelle on a de la peine de se garantir, lorsqu'elles etoaent arrangées dans leurs ménages les sièges de Jérusalem et de Samarie représentent rien de plus affreux." (p.93-94)
Début d'hiver difficile? Surement. Les habitants doivent donc prêter serment d'allégeance. Mais plusieurs exemples, tout l'hiver durant, nous prouvent que le serment était difficile à garder. D'un côté, on essaie d'aider les Français ou de nuire aux Britanniques, mais les conséquences sont graves et sans équivoque. Pour l'occupant, c'est la pendaison qu'on réserve aux habitants traitres qui se rendent coupables de trahison. Pour les Français, on exige encore l'aide de la population pour nourrir l'armée et abriter certains soldats, non seulement de l'armée régulière qui prend ses quartiers d'hiver près de Montréal, mais aussi pour les quelques centaines de soldats français demeurés près de Québec ou sur la rive-sud. Le tout dans un territoire occupé qui n'offre pas beaucoup de liberté et qui alimente les tensions pas ses perquisitions préventives, les abus des soldats (coups et vols) et les contrôles constants pour les déplacement dans la ville de Québec ou aux alentours.

Young Country Girl Dancing by François Boucher
Source: François BOUCHER (1701-1770), Jeune paysanne dansant, consultation en ligne, 8 mars 2010.

Certaines zone subissent en plus les expéditions punitives britanniques au mois de février entre les rivières Chaudière et Etchemin (rive-sud de Québec) où quelques dizaines de bâtiments ont été brûlés pour répliquer aux attaques de l'armée française sur le détachement britannique de la Pointe-Lévy ou celle en périphérie de Pointe-aux-Trembles (Neuville), En plus, les habitants de Québec, les plus pauvres de toute la région, doivent vivre avec une armée d'occupation décimée par les maladies et sans ressources qui n'hésitent pas à piller les maisons abandonnées ou non de la ville pour survivre. Les habitants collaborent donc volontiers avec les Français, malgré les menaces constantes de l'autorité britannique et les quelques exemples brutaux que tentera de faire l'armée avec des Canadiens soupçonnés de collaboration (par pendaison notamment).

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Source: Richard SHORT, Vue générale de Québec, prise de la Pointe-Lévy (1761), consultation en ligne, 9 mars 2010.

Ceux qui vivront le plus longtemps le "dérangement" de la bataille de Sainte-Foy seront certainement les habitants de la ville de Québec. On leur demande, sans condition, de quitter la ville de Québec le 24 avril 1760 (la demande est faite le 21), les Britanniques étant conscients que les Français essayeront de reprendre la ville et ils ne veulent pas subir la collaboration d'une population  en qui ils n'ont pas confiance avec l'assiégeant. Et ils ne pourront revenir chez eux qu'à la fin de l'été 1760...

Fichier:Louis XV France by Louis-Michel van Loo 002.jpg
Source: Louis-Michel VAN LOO, Louis XV, Roi de France et de Navarre (1760), consultation en ligne, 9 mars 2010.

L'hiver se passera donc dans l'attente près de Québec: d'un côté on supporte les troupes, de l'autre on espère un secours français au début de 1760, le tout en essayant de froisser le moins possible une armée d'occupation qui a la mèche courte. Si le secours ne vient pas, on peut supposer qu'une grande partie de la population commence à ressentir les effets d'une guerre presque continuelle depuis 15 ans (avec la guerre de Succession d'Autriche des années 1740). Il serait temps qu'une paix française nous permette de continuer de vivre sur un territoire français, avec notre Roi (Louis XV, ci-haut), nos coutumes, notre langue et surtout notre religion...

Reste à voir comment se déroulera la bataille de Sainte-Foy...


Les sources
Au sujet des exactions britanniques, voir: 
DESCHÊNES, Gaston. L'année des Anglais. Québec, Septentrion, 2009 (2e édition). 160 pages

Pour la milice, voir l'excellent livre:
DECHÊNE, Louise. Le Peuple, l'État et la guerre au Canada sous le régime français. Montréal, Boréal, 2008. 666 pages.

Sources primaires
FOLIGNÉ, Jérôme. Journal des faits arrivés à l'arme de Québec, capitale dans l'Amérique septentrional dans la campagne de 1759. Québec, Presses de la communauté des soeurs franciscaines, édition de 1901. 100 pages. Séries Champs de bataille #5.

LÉVIS, François-Gaston, duc de (H.R. CASGRAIN, éditeur). Journal des campagnes du chevalier de Lévis en Canada de 1756 à 1760. Montréal, C.O. Beauchemin & Fils, 1889. Collection "Les manuscrits du maréchal de Lévis", volume 1. 348 pages.

MALARTIC, Anne-Joseph-Hippolyte de Maurès, comte de. Journal des campagnes au Canada de 1755 à 1760.  Paris, Librairie Plon, 1890. 370 pages.

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